Judith JHP

Que l’observateur change de point de vu et l’allégorie de Judith se trouve prise d’une étrange oscillation, d’une nouvelle énergie qui la renouvellent entièrement.
Judith devenue punk ! Voilà le mythe appréhendé par de nouveaux langages. À l’univers manichéen des premiers temps, à la sainte figure représentant la loi, peut alors succéder l’ambiguïté d’une lecture qui voit la « sainte » éprouver des attirances suspectes, équivoques, pour qui la seule loi est celle de son désir. Judith porte en elle cette aberration libératrice relavant d’une énergie punk.

La performance s’appuie sur une lecture croisée de l’histoire de Judith et de l’esthétique punk pour interroger et déconstruire un acte qui porte en lui cette ambiguïté d’une relation d’amour/haine autant qu’une dimension politique et critique sur les rapports de domination, leurs expression sociale et esthétique.
Du texte de la bible, la performance retient un dispositif global, qui permet de réinvestir et réinventer librement l’histoire de Judith et Holopherne. L’acte de transgression de Judith face à la domination et face à une société béthulienne passive semble en effet faire écho à la transgression punk de certains groupes tels que les Slits, Siouxsie and the Banshee, 7 Year Bitch, dans une société des années 80 toujours traversée par les conservatismes.  Au-delà de la lecture purement féministe souvent envisagée, le geste de Judith peut se voir comme le développement et la revendication d’une nouvelle énergie, d’un DIY. Judith parait encourager les individus « à s’approprier leur vie afin d’en tirer des possibilités d’existence nouvelles » pour reprendre les propos de Fabien Hein à propos du punk.
La performance repose sur un duo homme/femme en référence au duo que forment Judith et Holopherne mais aussi à certains couples punks célèbres comme Nancy Spungen et Sid Vicious. Le duo de ce projet inverse le regard traditionnel sur ce format chorégraphique central de l’histoire de la danse, modèle classique de composition qui fut représenté par de grandes figures et de grands interprètes : Siegfried et Odette/Odile dans Le Lac des Cygnes, Roméo et Juliette dans le ballet éponyme, Marie et le soldat dans Casse-Noisette.

La question du corps est ici centrale comme elle l’est dans l’histoire du punk et dans le récit consacré à Judith et Holopherne. Elle permet la constitution d’un matériau pour l’écriture chorégraphique et le parti pris gestuel. L’écriture interroge ainsi la violence imposée au corps et la manière dont elle se manifeste dans les œuvres de Gentileschi, Le Caravage, ou dans le punk : mouvements brutes, gestes furieux, corps altérés (corps tailladé, muscles tendus, visages grimaçants, sang et blessures …) qui produisent malaise et répulsion. Le parti pris gestuel repose également sur la dynamique et la dimension transgressive associée aux punks dans leurs comportements sociaux.

Sans-titre, Benoit Villain, dessin au noir de fumée, mars 2021. D’après la première semaine de résidence.

Dans ce projet deux écritures chorégraphiques se rencontrent à travers les deux personnages. Le vocabulaire d’Holopherne trouve sa source dans des formes contemporaines qui s’articule autour de formes linéaires, répétitives, démonstratives et incisives. Judith quant à elle, suivant le slogan punk People Under No King, propose un vocabulaire plus anarchique, librement inspirées de gestes et de codes chorégraphiques du punk. L’énergie développée est intensifiée par un travail sur la répétition, dimension que l’on retrouve dans les pratiques punks et qui interroge les phénomènes d’exaltation dans les concerts, phénomènes rapprochant parfois la danse punk de certaines pratiques à caractère sacrée comme les transes. Le duo joue ainsi sur des dualités (méfiance/séduction, désir/haine, domination/soumission) pour culminer dans une séquence dramaturgique, moment où Judith tranche dans l’histoire dans un acte de décollation de la tête d’Holopherne. 

Dans le chapitre qui lui est consacré, Judith confie à sa servante la tête coupée afin de l’emporter à Béthulie. La radicalité du mouvement punk s’exprime dans son geste lorsqu’elle saisit la tête par la crête des cheveux avant de la montrer aux habitants. Mais que faire du corps tronçonné ? Sera-t-il quant à lui jeté dans le public comme un dernier stage diving ?

Générique :
Sur une idée de Benoit Villain
Ecriture chorégraphique : Yohann Baran & Nolwenn Ferry avec le regard de Benoit Villain
Interprètes : Yohann Baran & Nolwenn Ferry
Musique : Patty Smith, Land (1975) ; Vivien Goldman, Private Armies (1981) ; Siouxsie & the Banshees, The Lords Prayer (1979).

Ce projet bénéficie du soutien de la Région Hauts-de-France